Passus

Richard Rand

Parnell's Funeral

I

Under the Great Comedian's tomb the crowd.
A bundle of tempestuous cloud is blown
About the sky; where that is clear of cloud
Brightness remains; a brighter star shoots down;
What shudders run through all that animal blood?
What is this sacrifice? Can someone there
Recall the Cretan barb that pierced a star?

Rich foliage that the starlight glittered through,
A frenzied crowd, and where the branches sprang
A beautiful seated boy; a sacred bow;
A woman, and an arrow on a string;
A pierced boy, image of a star laid low.
That woman, the Great Mother imaging,
Cut out his heart. Some master of design
Stamped boy and tree upon Sicilian coin.

An age is the reversal of an age:
When strangers murdered Emmet, Fitzgerald, Tone,
We lived like men that watch a painted stage.
What matter for the scene, the scene once gone:
It had not touched our lives. But popular rage,
Hysterica passio dragged this quarry down.
None shared our guilt; nor did we play a part
Upon a painted stage when we devoured his heart.

Come, fix upon me that accusing eye.
I thirst for accusation. All that was sung,
All that was said in Ireland is a lie
Bred out of the contagion of the throng,
Saving the rhyme rats hear before they die.
Leave nothing but the nothings that belong
To this bare soul, let all men judge that can
Whether it be an animal or a man.

II

The rest I pass, one sentence I unsay.
Had de Valera eaten Parnell's heart
No loose-lipped demagogue had won the day,
No civil rancour torn the land apart.

Had Cosgrave eaten Parnell's heart, the land's
Imagination had been satisfied,
Or lacking that, government in such hands,
O'Higgins its sole statesman had not died.

Had even O'Duffy but I name no more
Their school a crowd, his master solitude;
Through Jonathan Swift's dark grove he passed, and there
Plucked bitter wisdom that enriched his blood.



Les funérailles de Parnell

I

Sous la tombe du Grand Comédien, la foule. Un paquet de nuages tempétueux est chassé parmi le ciel; là où il est sans nuages brillance reste; une étoile plus brillante encore file vers terre; quels frissons courent dans tout ce sang animal? Qu'est-ce que ce sacrifice? Quelqu'un peut-il là se souvenir du dard crétois qui perça une étoile?

Riche feuillage à travers lequel scintilla la lumière stellaire, une foule délirante, et là où les rameaux poussèrent, un beau garçon assis; un arc sacré; une femme, et une flèche sur une corde; un garçon transpercé, image d'une étoile jetée bas. Cette femme, la Grande Mère imageante, lui arracha son cœur. Quelque maître dessinateur estampa garçon, arbre, sur monnaie de Sicile.

Une ère est le renversement d'une ère: quand des étrangers assassinèrent Emmet, Fitzgerald, Tone, nous vivions comme hommes qui contemplent une scène peinte. Qu'importe la scène, la scène étant passée: elle n'avait pas touché à nos vies. Mais rage populaire, Hysterica passio entraina cette curée. Personne ne partageait notre culpabilité; ni avions-nous joué un rôle sur une scène peinte quand nous dévorâmes son cœur.

Venez, fixez sur moi cet œil accusateur. J'ai soif d'accusation. Tout ce qui se chantait, tout ce qui se disait en Irlande est un mensonge nourri de la contagion de la cohue, exceptant la rime qu'entendent les rats avant de mourir. Ne laissez rien sauf les riens qui appartiennent à cette âme nue, que tout homme qui le peut juge si elle est un animal ou un homme.

II
Le reste je passe, une phrase je dédis.De Valéra eût-il mangé du cœur de Parnell, nul démagogue bavard n'eût gagné le jour, nulle rancœur civile n'eût déchiré le pays.

Cosgrave eût-il mangé du cœur de Parnell, l'imagination du pays eût été satisfaite, ou cela manquant, gouvernement par telles mains, O'Higgins son seul homme d'Etat ne fût pas mort. Eût même O'Duffy – mais je ne nomme pas plus – leur école une foule, son maître solitude; à travers le bosquet sombre de Jonathan Swift il passa, et là cueillit amère sagesse qui enrichit son sang.

Tr. Michel Moos

 

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Tuscaloosa, AL
5 Septembre 1992


Cher Michel,

Yeats, dans «A Prayer for my Daughter», remarque que «hearts are not had as a gift but hearts are earned/ By those that are not entirely beautiful». Vous avez cherché le cœur de «Parnell's Funeral» à travers une version en prose. Monologue dramatique à la manière de Browning (ainsi le «Pied Piper of Hamelin» est mis en jeu dans «la rime qu'entendent les rats avant de mourir» à la quatrième strophe), le poeme se déploie en posant quelques questions à propos d'un autre drame: chacune des questions de la première strophe («Quels frissons courent?», «Qu'est-ce que ce sacrifice?», «Quelqu'un peut-il là se souvenir?») est développée dans une des trois strophes suivantes, strophes qui donnent la réplique en renversant la séquence des questions (la deuxième strophe rappelle le «dard crétois»; la troisième strophe, «la sacrifice»; la quatrième, «le sang animal»). Vous avez gardé, dans les deux premières strophes, la rhétorique dense d'un catalogue (parataxe, utilisation minimale de phrases subordonnées, calcul micrologique d'articles, absence de pronoms personnels, strict respect du présent indicatif dans la première strophe, et du prétérit dans la seconde). Vous avez également gardé le «enrichit» de la dernière ligne qui rappelle le «riche feuillage» du début de la deuxième strophe - un fait parmi d'autres que Yves Bonnefoy ignore dans sa version en vers (paraphrase interpretative plûtot que traduction, in Quarante-Cinq poemes de Yeats, Paris, 1989).

«Les funérailles» appellent la lecture: publié par Yeats en 1934, cinq ans avant sa mort à l'âge de soixante-quatorze ans, c'est le premier de ses poèmes qui mentionne le nom de «Parnell», le seul poème qui parle de cannibalisme, et le seul endroit dans son œuvre où Yeats parle en tant que cannibale (dans «Blood and the Moon», poème de 1928, il se trouve innocent de tout sang versé, un du «we that have shed none»). D'ailleurs, «Parnell's Funeral» est l'un des deux seuls poèmes de Yeats où figure le mot «sacrifice» (l'autre étant «Easter, 1916») – un tournant remarquable pour un auteur d'une réticence remarquable, dont les mœurs, l'ésthétique, la politique et la métaphysique s'élaborent tous à partir de l'étude du «sacrifice» (askesis, amour infortuné, martyre, service communautaire).

Mais «Les funérailles» reste encore à lire! Rien, du moins en anglais, n'a touché son cœur. S'agirait-il donc d'un poème illisible?

S'il nous paraît maintenant un peu plus lisible que d'autrefois, ce serait dû, peut-etre, à sa «vital congruence» - pour emprunter une phrase heureuse de Yeats - avec quelques essais récemment publiés par Jacques Derrida. Ces essais sont, pour moi, le «devenant-lisible» de Yeats: et bien qu'un tel événement (Yeats en tant que lecteur de Derrida, Derrida en tant que le «devenant-lisible» de Yeats), ne doive avoir lieu qu'à l'insu de Derrida, et sans que Yeats ait pu le prévoir–c'est la grande affaire du «don»–il n'advient pas pour autant par accident, mais conformément au premier (et au plus ancien) espoir de Yeats lui-même. Dans «Les funérailles de Parnell», une œuvre future, une «livre à venir» et sa lecture scrutent les rites devenant ces funérailles elles-mêmes («Parnell», comme vous l'avez peut-être noté, n'est pas seulement l'objet de cette cérémonie; il est aussi son sujet, son maître des cérémonies: c'est nous qui sommes en train d' être enterrés).

Nombreux et complexes sont les endroits chez Yeats où il est question de lire une œuvre future: vous pourrez les trouver dans des poèmes célèbres, tels que «The Fisherman», «All Souls' Night», ou «Byzantium», des poèmes qui ont encore à être lus pour ce qu'ils disent à ce sujet. Pour entrevoir un soupçon de la lucidité de Yeats, prenez le passage suivant de Per Amica Silentiae Lunae (1917) qui combine, en quelques lignes, certaines pensées tirées de Platon concernant la chora (en passant par Edmund Spenser et Henry More) et certaines pensées tirées de L'interprétation des Rêves concernant le transfert (bien que Yeats lise Freud sans arrêt, il ne cite jamais son nom dans ses ecrits publiées):

Je suis persuadé qu'un processus logique, ou une série d'images connexes, possède corps et périodicité, et je conçois l'Anima Mundi comme une grande fontaine ou comme un jardin où il [le processus logique] se meut à travers la croissance qui lui est impartie comme une grande plante aquatique ou se ramifie en branches fragrantes dans l'air. [...] L'âme, par transformation de la «congruence vitale» [vital congruence], dit More, attire à soi une pensée particulière, et cette pensée entraîne, par association, la séquence de nombreuses pensées. [...] Une graine est mise à pousser, et cette germination peut continuer indépendamment du pouvoir - et même de la connaissance - de l'âme. [...] La pensée s'est accomplie, certains actes de logique, certains tours, et certains nœuds dans le tronc, se sont accomplis pour ainsi dire hors de vue et hors d'atteinte. Nous nous mettons toujours à faire connaissances. [...] Nous ne pouvons que refuser d'enclencher le processus d'errance ou, là où il commence, de le tenir dans la lumière intellectuelle où le temps court le grand galop.

Yeats ne lit ni avec les yeux ni avec les mains. Bien qu'il «tienne» le «processus logique» (et la «croissance qui lui est impartie», ou son futur) dans «la lumière intellectuelle où le temps court le grand galop», il ne voit précisément rien, «accompli hors de vue et hors d'atteinte» (ses yeux, comme ceux de César dans «Long-legged Fly» (1936), sont «fixed upon nothing»). Ces conditions de lecture sont «difficiles», ascétiques:

The fascination of what's difficult
Has dried the sap out of my veins, and rent
Spontaneous joy and natural content
Out of my heart.
(1910)

Mais, en depit de la non-presence de l'œuvre à lire, un acte de lecture doit néanmoins avoir lieu, un acte dont la «vertu» se compose d'«analyse» et de «définition»:

But I, whose virtues are the definitions
Of the analytic mind, can neither close
The eye of the mind nor keep my tongue from speech. («The People», 1917)

Dans «The Old Man and the Echo» (1937), où il parle de «the spiritual intellect's great work», Yeats parle aussi d'un vieil homme dans la manière suivante:

... body gone he sleeps no more,
And till his intellect grows sure
That all's arranged in one clear view,
[He] pursues the thoughts that I pursue,
Then stands in judgment on his soul.

Un poète doit «pursue the thoughts that I pursue», sans s'arrêter «till his intellect grows sure/ That all's arranged in one clear view» - ce qui, à mon avis, veut dire, entre autre choses, qu'une lecture du «livre à venir» ne doit pas s'arrêter à sa seule prémonition: l'«arrangement» (l'analyse, la définition) d'une telle lecture doit être «clair», du même que la «vue» du lecteur doit être tout autre que phenomenale, et que la «vue claire» ne doit être ni unitaire ni totalisante (car il s'agit de «one clear view», d'une vue singulière, singularisante).

Yeats, lecteur de Derrida? C'est pour moi une realité actuelle, ou textuelle, sans fondation positive. Mais nous nous précipitons un peu, et je vous proposerai donc, rallentando, quelques remarques tentatives à propos des seules rites Parnelliennes. C'est un poème, comme je vous ai déjà dit, qui attend sa première lecture délibéré, et l'attendra bien après ces comments assez brefs, tardifs et hatifs. Beaucoup plus importante est la traduction exacte de votre main--la première traduction exacte, sauf erreur, en langue française.


Parnell

Charles Stewart Parnell, le grand nationaliste irlandais, mort le 6 octobre 1891 à 45 ans (moins d'une année après que sa carrière fut ruinée par la diffamation, surtout par ses copains du mouvement nationaliste), est enterré le 11 octobre dans le cimetière de Glasnevin à Dublin, près de la tombe d'un autre homme d'État qui le précède (le «Grand Comédien» Daniel O'Connell), et ceux qui assistèrent à l'enterrement prétendirent voir, là et à ce moment même, une étoile filante tombant du ciel au grand jour. Bien que Yeats n'y ait pas assisté, il publia, la veille (le 10 octobre) dans le journalUnited Ireland, un éloge (sans titre) à un héros anonyme, éloge qui se termine, à la manière de Kipling, par une strophe de commandement («mourn»):

Mourn and then onward, there is no returning
He guides ye from the tomb;
His memory now is a tall pillar, burning
Before us in the gloom!

Yeats enterre ensuite cet éloge pour ne plus jamais la réimprimer, pour ne plus jamais autoriser sa réimpression. Parnell est son guide «from the tomb» (de la tombe dans le poème, de la tombe dans la tombe, du poème dans la tombe, du poème dans le poème) à travers un labyrinthe textuel dont il sort «forty years after» avec le poème du cannibale passioné auquel il donna, à sa première parution en 1934, deux titres distincts, appelant la première partie «A Parnellite at Parnell's funeral», et la seconde partie - qui mentionne le nom de Parnell pour la première fois – «Forty years after» (entre ces deux parties, il plaça quelques commentaires en prose dont il se dispensera, ainsi que des titres, dans les impressions suivantes).

Hésitons, par prudence, à identifier Yeats avec ce Parnellite qui parle au premier personne.

Jonathan Swift

Swift, dont la portée pour Yeats, avant les années vingt, reste au niveau de l'identification empirique (la politique, les femmes, Dublin, l'écriture et le vieillissement figurent parmi leurs interêts communs), devient, lors des années trente, une «voix» pour laquelle Yeats sert de medium: comme l'explique Yeats, la voix de Swift est la voix de «la conviction personnelle», de «l'animation et de la clarté», la voix de quelqu'un qui «pensait toujours en anglais et est versé dans cette langue». Yeats explore la tâche comme telle du medium dans Words on the Window Pane (1934), une pièce qui représente une séance de spiritisme dans le Dublin des temps actuels; dans cette piece, le medium, qui s'appelle «Mrs. Henderson», est une femme vieillissante dont la voix parfois se transforme en celle d'une petite fille: c'est la voix d'une «woman young and old» – un des nombreux «masques» dont se sert Yeats à cet époque, un masque qui fournit le titre (et la voix) de certains des poèmes lyriques dans The Winding Stair (1933). Durant la séance de «Mrs. Henderson» dans Words upon the Windowpane, «Swift» fait une tirade à propos d'une affaire qui avait donné lieu, il y a deux cents ans, à son poème comique Cadenus and Vanessa. Ce poème (de prédilection pour Yeats) est composé lui-meme sur le mode fictif d'une séance judiciaire ou crisis Lucienique (là où «Venus» elle-même, nous dit-on, préside). C'est une forme quasi-dramatique à laquelle Swift s'attache avec chaleur; et je me rappelle qu'ailleurs, à propos de la topique exacte du crisis, Swift emploie, dans un de ses Sermons–ouvrages auxquels Yeats fait référence dans son commentaire sur «Parnell's Funeral»–les termes suivants pour décrire le «testament de conscience»:

...Je vous l'expliquerai de la manière la plus claire dont je sois capable. Le mot «conscience» signifie proprement, cette connaissance qu'un homme a en soi de ses propres pensées et de ses propres actions...Et puisque, si un homme juge équitablement ses propres actions en les comparant avec la loi de Dieu, son esprit le sanctionnera ou le condamnera selon qu'il a fait du bien ou du mal, cette connaissance peut par conséquent s'appeler et accusateur et juge...

Dans la quatrième strophe de «Parnell's Funeral» («Venez, fixez sur moi cet œil accusateur. J'ai soif d'accusation....que tout homme qui le peut juge...»), «nous» sommes amenés, sur le ton d'une tirade Swiftienne–ou peut-être c'est Swift lui-même, à travers la voix du Parnellite, qui nous y amène–à jouer les rôles de notre propre crisis Lucienique (ou crise de conscience). Nous sommes amenés, pour un moment indéfini ou infini, à juger (à condition que «nous» soyons capables de juger) si «cette âme nue...est un animal ou un homme».

Nuova Scienza

Bien que Yeats eût lu Hegel, dans les années vingt il se tourne vers Vico et Jonathan Swift en élaborant une autre conception (nietzschéenne?) de l'histoire. On dit de ces écrivains qu'ils partagent (avec William Blake) une conception de l'histoire en tant que séquence d'époques ou «âges», dont la loi de succession n'est pas hégelienne (ou «dialectique»); ce n'est pas une loi de «négation», mais plutôt une loi de «dissidence» (le terme est emprunté à Swift). Quand Yeats déclare qu'«une ère est le renversement d'une ère», le «renversement» en question est «argumentatif»; il s'agit d'un mouvement qui, émergeant de l'opposition aux valeurs dominantes de son époque, surgit avec une force suffisante pour prévaloir. Dans le commentaire en prose que fait Yeats de notre poème, il propose cette perspective sur Parnell, ce qui fait de lui, pour ainsi dire, le directeur des funérailles:

Pendant que nous discutions et débattions, le caractère national changeait. O'Connell, le grand comédien, laissa la scène et le tragédien Parnell prit sa place. Quand nous parlions de son orgueil...l'époque procédente [sic ], avec sa bonhomie démocratique, semblait ricaner à travers un collier de cheval. Il était le symbole qui rendait évident, ou rendait possible (n'y a-t-il pas des limbes historiques où rien n'est possible?) le contraire de cette époque: le contraire, et non pas la négation, ni la réfutation: des legumes frais peuvent devenir moins frais sans pour autant être refutés. Je suis le disciple de Blake et non de Hegel: «les contraires sont positifs. Une négation n'est pas un contraire».

Parnell, comme évènement ineffacable, met une époque continue («procédente», et non «précédente») dans un abîme, dans l'encadrement d'«un collier de cheval» (dans sa fosse). Il s'agit, dans cette nouvelle ère, non seulement d'un nationalisme partagé par ses concitoyens, mais aussi d'une recherche de la «vérité» («nous commencions à estimer la vérité», dit le commentaire: «...la libre discussion est apparue chez nous pour la première fois, menant la passion pour la réalité»). Dans ces notes, Yeats offre également une remarque sur le cannibalisme: «nous avions passé par une initiation ressemblant à celle de l'ascète tibétain qui sort chancelant, à demi mort, d'une transe où il s'est vu dévoré tout vif, sans s'être encore aperçu que le dévoreur, c'était lui»; «l'ascétisme» et l'«initiation» ricanent tous deux à travers le collier de cheval de cette remarque (que je m'excuse d'avoir employé une phrase qui joue tellement mal en français!).

le dard crétois

Pendant plus de vingt ans après la mort de Parnell, Yeats avait accepté le concept de «sacrifice»--en tant que principe d'économie rhétorique (sa rhetorique du «symbolisme» commence, disons, envers 1891), en tant que base de restauration sociale, et (dans sa phase hégelienne, et pre-swiftienne) en tant que loi généralisable de l'histoire, personnelle aussi bien que culturelle (Maude Gonne, l'objet de son amour non partagé–donc sa plus grande «sacrifice»–est l'«Hélène» de l'Irlande moderne). Un évènement a alors lieu - la «Rébellion de Pâques» de 1916, provoquée, selon Yeats, par l'appel de son chef, Patrick Pearse, pour un «sacrifice de sang» (blood sacrifice) - qui provoque un revirement deconstructif dans la pensée du poète. Dans le poeme célébré de «Easter, 1916», il annonce un changement énigmatique quelconque («All changed, changed utterly;/ a terrible beauty is born»), et dans ce poème même (où le mot «sacrifice» est prononcé par Yeats pour la première fois) une chose à changer est precisement la valeur du sacrifice ( d' «Easter»?):

Too great a sacrifice
Can make a stone of the heart.
O when may it suffice?,

Viennent par la suite A vision(1925), Autobiographies(1922 et après), The Tower(1928), et des pièces comme Calvary (1920) et Resurrection (1925-34), œuvres qui offrent tous en commun une analyse de la rhétorique syncrétique de la «devise»–rhetorique de symbole, de tableau, de hiéroglyphe, de scene, d'emblème, de rêve (voyez tout ce qui se dit à propos de ces choses dans l'essai incontournable de Paul de Man, «Image and Emblem in Yeats»)–«analyse de la rhetorique», donc, qui sonde, par ses articulations multiples, les limites du «sacrifice» en tant que concept universel ou loi compréhensive de l'histoire (étant donné que l'emblème ait, comme structure intententionelle, le but de «tout comprendre» en se proposant, comme Paul de Man l'a si bien démontré, une origine supposé sacré ou divine; j'adopte par commodité le mot «devise» d'après un traité d'Emanuele Tesauro, «L'idée de la parfaite devise» ).

Poursuivant, dans les "funerailles," un processus de «rappel» («Quelqu'un peut-il là se souvenir...?»), les deux premières strophes de «Parnell's Funeral» fournissent un exemple (ou emblème) de cette rhétorique (emblématique) et de ses limites conceptuelles: simulacre («image» ou «étampe») et chiasme (l'«étoile filante» est également «lancée» ou «percée»), déploient leur réseau correspondant à travers une syntaxe d'inversion, de doubles génitifs, et d'hyperbate (ainsi dans le vers «Un garon transpercé, image d'une étoile jetée bas», le garçon est «jeté bas» en tant qu'«étoile» et en tant qu'«image»; l'«étoile» est «jetée bas» en tant que «garçon» et en tant qu'«image»; et l'«image» est «jetée bas» en tant qu'«étoile» et «garçon»). L'intrigue, les personnages et le décor se tendent vers les pôles du ciel et de la terre, et des temps anciens et modernes–les «funérailles» particulières de Parnell suppléant l'occasion pour un «sacrifice» universel, tel qu'il est accompli par «cette femme» (la «Grande Mère» Athéna, mais aussi Kitty O'Shea, l'amie de Parnell); par un «garçon transpercé» (Apollon, mais Parnell aussi); et par un «maître dessinateur» (un artiste «sicilien» mais aussi Yeats, «estampant» une image de Parnell dans United Ireland). Le «feuillage», l'«arbre» et l'«étoile filante» du cimetière de Glasnevin reproduisent le décor d'un rêve apocalyptique que fit Yeats en 1887 (il décrit d'ailleurs ce rêve dans les Autobiographies de 1922, et le cite–avec son analyse ultérieure dans l'édition de 1927 de cette œuvre–dans le commentaire en prose du présent poème).

Mais nous ne devrions pas permettre à cette «devise» de cacher les limites de sa propre pertinence au mouvement excédant du poeme: quoiqu'elle assimile le temps et l'espace au topos de son échange, elle ne peut rendre compte des déplacements qui ont lieu à l'intérieur du monologue dramatique actuel, ou «performatif». Si la première partie du poème est lue comme l'énoncé en 1891 d'«un Parnellite assitant aux funérailles de Parnell», l'énoncé doit se diviser de son propre «présent»: répondant à une question posée dans la première strophe («...Quelqu'un peut-il là se souvenir...?»), la deuxième strophe réplique en utilisant le temps du prétérit («Cette femme...arracha»), comme "flashback," en se reportant abruptement à un moment discret qui soit complété dans le passé (l'évènement, peut-être, du rêve de 1887). Mais si la première partie du poème est lue comme monologue énoncé au moment de son écriture («forty years after»?), le poème ne s'ouvre sur un «souvenir» vif et présent que pour le répéter, discontinûment, au temps décalé du prétérit. Ce sont des décalages qui excedent ou agitent la totalité de la devise. Nous ne devrions pas non plus négliger le sujet lui-même divisé (le «Parnellite»): celui qui parle n'est pas seulement «ici» («Qu'est-ce que cettesacrifice?») mais «là» aussi (ce «quelqu'un là»--c'est lui?-- se souvenant du «dard crétois»). Où bien il n'est ni «ici» ni «là»: les funérailles (emblématiques) sont hantées par le monologue, et le monologue est hanté par les funérailles, chacun étant le fantôme de l'autre, excédant la fragile fiction de la «devise» - à moins que le monologue et les funérailles ne soient, à leur tour, hantés par la «devise» elle-meme. (Plus simplement encore, car la simplicité aussi s'impose: le Parnellite décrit, dans la première strophe, quelque chose qui se passe comme énigme; dans la deuxième strophe, il la décrit comme chose reconnue («sacrifice»); dans la troisième, il médite sur la sacrifice comme chose intime.)

La foule

Suivant «la foule» de strophe en strophe, du temps présent au prétérit, d'un sujet à l'autre, d'«ère» en «ère», du «eux» au «nous», d'abîme en abîme, le poème semble rechercher sa déconstruction (Yeats n'y assista pas parce qu'il «détestait les foules, et ce qu'elles impliquaient»; il était aussi végétarien pendant sa «jeunesse sensible et timide»). De la marge des deux premières strophes, la foule s'avance - figure prolongée, peut-être, pour la «bonhomie démocratique» de l'«ère» de O'Connell («Sous la tombe du Grand Comédien, la foule») - vers une place centrale dans le poème, tandis que Yeats, dans sa rigueur swiftienne, donne à son Parnellite une place au centre de la foule («Personne ne partageait notre culpabilité; ni avions-nous joué un rôle sur une scène peinte quand nous dévorâmes son cœur»). Il prend non seulement une place identificatrice exemplaire (lui, comme eux, étant «nous», c'est-à-dire irlandais), mais il répond aussi à la charge plus spécifique (et, pour le Parnellite, en tant que «poète» lui-meme, professionelle) de «mensonge» («Tout ce qui se chantait, tout ce qui se disait en Irlande est un mensonge...»).

Et comment le «menteur» soit-il aussi un assassin? Dans le commentaire en prose, Yeats glose l'«étoile» de la façon suivante: «Je demande si la chute d'une étoile ne pourrait pas, de temps en temps, symboliser un sacrifice sanctionné [accepted sacrifice]». Et s'il en était ainsi pour cette «chute d'une étoile...de temps en temps...» ici-même, comment (et par qui) ce sacrifice aurait-il donc été sanctionné (accepted)? A quel dieu Parnell a-t-il été offert? Et par qui? A aucunsauf, semble-t-il, à celui de la foule elle-même, et par elle-même: Le «Parnellite», qui a déjà lui-même «accepté» et soutenu le «mensonge» habilitant du «sacrifice» «nourri de la contagion de la cohue», gagne une place dans cette foule en sanctifiant son comportement, en le rendant «acceptable».

Un «menteur» peut-il aller au delà de la métaphysique en découvrant, et en racontant, une vérité qu'il a démenti? En laissant son Parnellite dénonçer sa complicité, et plaçer son «mensonge» au niveau de l'assassinat et du cannibalisme, Yeats a aussi bien démystifié cette frontière des plus métaphysiques qui passe entre «humains» et «animaux»; et pourtant, la valeur du sacrifice (avec les catégories qui l'accompagnent telles que «nous» et «eux», «ici» et «là», «maintenant» et «alors») reste plus tenace que jamais: l'humaniste, se tournant vers le nihilisme («Ne laissez rien sauf les riens...»), rappelle tout simplement cette métaphysique sous une forme négative («...sauf les riens qui appartiennent à cette âme nue...»). Car il reste encore au «double geste» à visiter ces funérailles: passant d'un «mystère de la Passion» à l'«hysterica passio et à la «soif» ( passant de passion en passion, en passion), le nihiliste se révèle être rien moins qu'une «âme», pris dans une impasse de déplacement, dans la porte tournante d'une crise, où l'œil du lecteur joue en quelque sorte le rôle de «cette femme, la Grande Mère» («Venez, fixez sur moi cet œil accusant...»). Il est pris, comme le dirait le commentaire, dans ces «limbes historiques où rien n'est possible»; car une démystification n'est pas une déconstruction: elle mène, au maximum, à une impasse (ou aporie) qui peut poser pour la déconstruction un passage quelque part.




Forty years after

Deconstruction a lieu dans la postface de «Forty years after»; et il n'a lieu ni comme «roue» ni comme «papillon» (noms que Yeats donne à ses compositions majeures et mineures).

Elle est partie, la splendide «devise», et, avec elle, s'est en allée de l'écriture de Yeats toute fascination (même autocritique) qui subsisterait pour le «sacrifice» (cette remarque péremptoire, toujours ouverte à la contestation, embrasse une soixante-dizaine de poèmes, cinq pièces, et douze œuvres en prose composés après «Parnell's Funeral»; pour répondre à toute contestation, nous pourrions nous tourner vers quelques «roues» plus tardives, écrites–comme la première partie du notre poème, nonobstant les seules sept lignes de la première strophe–en ottava rima: «The Gyres», par exemple, ou «The Statues», qui datent toutes deux de 1938).

Deux points se font dans la première ligne de l'afterword («Le reste je passe, une phrase je dédis»), dont le deuxième est peut-être le moins obscur : si nous considérons que les neuf lignes qui suivent-- avec leur conditionnel qui s'oppose aux faits--veulent dire que de Valera, Cosgrave et O'Duffy (les chefs politiques irlandais du jour, et aussi biens les paires chronologiques, les copains peu fidèles de Parnell) ne doivent pas être comptés avec le Parnellite parmi les cannibales, la «phrase [que] je dédis» doit alors être –– «nous dévorâmes son cœur». Le Parnellite a réaffirmé la division entre «nous» et «eux» («leur école une foule»), mais les termes de sa division ont été modifiés: la division ne tombe plus entre «humains» et «animaux» mais plutôt à l'intérieur du «nous» des irlandais assassins, entre ceux qui mangent leur «proie» et ceux qui ne le font pas. Deux actions bien distinctes sont ici en cause –– détruire Parnell par la calomnie («Hysterica passio entraina cette curée»), et «dévorer» son «cœur». Dans la deuxième partie du poème, seul le Parnellite peut être compté (et cela uniquement par inférence) parmi les cannibales assassins, et c'est au détriment du «pays» qu'il en est ainsi: car le fait de manger le cœur est maintenant considéré, en relation à l'assassinat, comme un acte prometteur dont la promesse a été ignorée. Deux thèmes contemporains dans les écrits de Yeats nous amènent à cette réévaluation, et je les mentionne trop brièvement ici: le premier, c'est la theme de l'«incorporation»–en 1918, Yeats lit la traduction de Totem et taboupar Brill, qui vient d'être publiée–thème qui s'étendent ici aux figures de «solitude», aux figures de Parnell et de Swift (vous vous rappelez peut-être que Swift, dansA Modest Proposal, offre le cannibalisme comme réponse aux maux de l'Irlande); la deuxième, c'est le thème de «l'affirmation» d'un acte «criminelle», qui se retrouve fréquemment chez Yeats plus tard comme un antitrope à l'impasse éthique nommée «remords»: un exemple en serait le «crime de naître» des platonistes, qui est affirmé–et dont le «remords» est ainsi dépassé– par l'acte sexuel lui-même: car «where the crime's committed, the crime can be forgot» (de «Consolation», poème de 1933 prononcé par «a woman young and old». Un jour nous essayerons de décrire patiemment les gages de l'incorporation et du crime affirmé dans l'oeuvre ulterieure du poete.)

Donc le Parnellite, comme cannibale et assassin, peut aussi se regarder comme de la partie de Swift et de Parnell, de la partie de la «sagesse amère». La condition humaine est criminelle, certes: c'est du sang, sanglant, «bloody»; et notre seule chance, c'est la chance d'un Parnell qui peut «pluck bitter wisdom that enriched his blood»–là, là-bas, dans «Jonathan Swift's dark grove», là où «he passed», par une espace qui n'est ni l'endroit ni le topique de Glasnevin Cemetery, non plus de la «rich foliage» de la «devise», de la scène supposée apocalyptique (gardons-nous bien de confondre la «rich foliage» avec le «dark grove»!)

De loin plus énigmatique est le premier hémistiche de la première ligne de cette section: «Le reste je passe...». C'est une phrase, sans doute, qui fait ce qu'elle dit: en l'énonçant, le Parnellite sort de son impasse (le «reste» de ses quarantes années passées) pour entrer la promesse déconstructrice des années à venir. Il fait ceci en passant (par) cette impasse; si nous analysions grammaticalement cette phrase en anglais («The rest I pass»), il nous faudrait passer par les soixante-neuf articles du Oxford English Dictionary qui traitent du verbe «pass»; il nous faudrait ensuite passer par la «place» qu'elle occupe chez Yeats, ou plus précisément par la place que Yeats occupe dans l'histoire de ce mot (dans le mot lui-même, ou dans le passage de ce mot à travers ses synonymes), pour finalement passer par les essais les plus récents de Derrida (Passions). Nous noterions que le mot «pass» est lui-même un passage où trois verbes latins se rencontrent (pando, pateo et patior, «j'ouvre quelque chose», «je déplie», «je suis ouvert par quelque chose»), en passant, en anglais comme en français, par le pli supplémentaire du participe passé passus. Une analyse patiente du «quasi-transcendental» nous attend ici, de même que du «schibboleth» (rien de moins idiomatique, rien de plus signifiant, rien qui ne soit moins manifestement un «mot de passe» que le mot «passe» lui-même, qui devrait se prononcer après le mot de passe). Ici nous noterions que l'action de «passer» requiert une autre «passe» – il faut un autre, n'importe quel autre, pour «passer», de quelque manière que vous preniez ce verbe. Pour qu'il se passe, passer exige le passage de deux singularités – et quand il se passe, une «communauté» advient (Yeats met en scène un schibboleth dans la passade de son épitaphe:

Cast a cold eye,
On life, on death,
Horseman, pass by!

– en gardant à l'esprit que «jeter un œil» sur quelque chose veut dire «passer cette chose en revue», comme quand je passe sur cette phrase «Le reste je passe...»).

Si vous avez la bonne chance de voir (ou d'entendre) Claire, saluez-la chaleureusement de ma part:

A bientôt,

Richard

(tr. Michel Moos)




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Tuscaloosa, Alabama
24 May 2000


Dear Michel,

Remember this exercise? Solicited on short notice by friends in France almost a decade ago, it was a week in the writing, a week in the translating, and then it took off for France, where it went into hiding and stayed there ever since. But now, once again on short notice, Dragan Kujundzic has solicited a brief piece in honor of Jacques Derrida on his seventieth birthday – «whatever you have on hand». What we have on hand is your translation of that exercise (I lost the original English some time ago). However ephemeral and dated it may be, I trust it serves as a fitting salute to Jacques; for what, after all, could be more ephemeral, more dated, than a birthday? And who could we better invoke on a seventieth birthday than the poet Yeats himself?

 

Imitated from the Japanese

A most astonishing thing–
Seventy years have I lived.

(Hurrah for the flowers of Spring,
For Spring is here again.)

Seventy years have I lived
No ragged beggar-man,
Seventy years have I lived.
Seventy years man and boy,
And never have I danced for joy.

 

May the lapse of the decades be felt as «a most astonishing thing», and may we all aim, in the excellent words of Michel Deguy, to «transformer le passé en sa perte».

Shortly after his seventieth birthday, Yeats also made the following remark: «I must, if can, put away my patter, speak to the young men before the ox treads on my tongue». A sentiment for us all to share!

Another word, then, about Yeats and Derrida.

Though Jacques, so far as I know, has never written or spoken of Yeats, the communication between the two is «a most astonishing thing». Someday a strong and resourceful reader will spell out the laws, the conditions of necessity, giving rise to such a «vital congruence». I can imagine readers in the next miilenium learning two dead languages, English and French, in order to track the affinities of Yeats and Derrida.

Jacques, as you may know, is currently engaged in the study of capital punishment–a step in the ongoing deconstruction of claims to sovereignty. «Sovereign» is the one who decides the survivor, who decides whether we shall live! Show me a movement for sovereignty–as of religion, race, class, sex, or politics–and I will show you a movement of bloodshed. The United States, England, France, Ireland, Algeria–just so many arenas of sovereignty, soaked in blood.

And how does Yeats approach the two-fold topic of sovereignty and bloodshed?

Yeats abhors the shedding of blood–the «blood sacrifice» in all its forms–and he rejects any claim to sovereignty licensing bloodshed. Hence his militant refusal to participate in identity politics, and hence his standing as a figure par excellence for politically incorrect attitudes. His earliest detractors were his colleagues in the Irish independence movement. More recent detractors would find an echo in the following statement by Yves Bonnefoy concerning Parnell's Funeral: «ce poème fut écrit en 1932 et 1933, quand Yeats était agité de dangereux sentiments anti-démocratiques» (in Quarante-cinq poèmes de Yeats, p. 211). If he means that Yeats was drawn to anti-democratic sentiments–and any such sentiment would indeed be «dangerous», here we can all agree–then we must ask just how and where the poem supports such a reading, something Bonnefoy never explains. There is a crowd, certainly, and Yeats detests it; but this is a crowd of nationalists, soon to be washed in the blood of the Irish independence movement. It is the burden of this poem to trace the homicidal dimensions of that movement back to an event which long preceded the terrors of the 1920's.

It can be shown that Yeats is always a democrat, and always opposed to the politics of sovereignty (for him a democracy–a people, a demos–is not the same as a «crowd»). And yet he never takes his refusal of the sovereign (of the sovereign movement) as a positive mark of ethical superiority on his part. While he abhors the shedding of blood, he never fails to acknowledge his own bloodlust--his own humanity, which is his animality as well.

In Blood and the Moon (1928), one of a series of meditations on the Irish terror, Yeats gives the following assessment of his own situation (the setting is Thoor Ballylee, Yeats's seven-hundred year-old tower):

The purity of the unclouded moon
Has flung its arrowy shaft upon the floor.
Seven centuries have passed and it is pure;
The blood of innocence has left no stain.
There, on blood-saturated ground, have stood
Soldier, assassin, executioner,
Whether for daily pittance or in blind fear
Or out of abstract hatred, and shed blood,
But could not cast a single jet thereon.
Odour of blood on the ancestral stair!
And we that have shed none must gather there
And clamour in drunken frenzy for the moon.

As always with Yeats, the syntax is richly turned, and we have to attend to the play of his pronouns and adverbs. Specifically, in the third line, to what does the «it» refer (in the phrase «it is pure»)? «It» no doubt refers to the «moon» or its «arrowy shaft»; but «it» can also refer to its nearest antecedent--to «the floor». And if we take the «it» in this sense, then the next line would mean that «the blood of innocence has left no stain» on the floor–that the tower is a site of purity. And the «spacing» of the next sentence would seem to bear this out: the «there»–that «blood-saturated ground» on which the killers have stood–would be taken as separate and apart from the «pure» floor of the tower (the murderers «could not cast a jet thereon»).

But no, but no, but no–not at all! For Yeats is of the human kind, and there is an «odour of blood on the ancestral stair». This exclamation sends us back to the third line, where we now have to take the phrase «it is pure» as referring indeed to the moon. The «we that have shed none»–the current inhabitants of the tower--are deemed to be just as human, just as deranged, as any «soldier, assassin, executioner». Baying at the moon in his «drunken frenzy»–call it his frenzied nostalgia for purity from bloodlust–Yeats prepares for himself a place in the «frenzied crowd» of Parnell's Funeral. And he does so within the tower. Within it, he deconstructs the tower itself just as surely as he deconstructs the «nation» («Is every modern nation like the tower,/ Half dead at the top?»–Blood and the Moon, ll. 47-48).

But I must put away my patter and let Jacques, like the poet Yeats, continue to «enrich» our blood!

As ever,

Richard